Eaux Vives, Danièle Weiller Médioni, 280 p. (143 illustrations d’œuvres d’amis et de l’auteur), format 24 x 25,3 cm, éd. Manson,
Paris 2021
Extrait d’un texte:
Une Pénélope de l’Occupation. Comment j’ai échappé à la Gestapo
Récit de ma grand-mère que j'ai enregistré à son insu au magnétophone dans les années 1960 (extrait des Lettres
Trimestrielles. ) :
« Un jour, vers la fin 1943, le concierge m’a prévenue : « On est venu prendre des renseignements sur vous. » C’était un
Allemand qui avait quitté l’hôtel Ceyré, boulevard Raspail, pour habiter notre immeuble du 32 rue de Varennes et qui
voulait savoir qui j’étais. Alors, je suis allée au Commissariat de Police voisin, et je me suis présentée :
« Messieurs, je suis madame Weiller. Me voilà ! » C’était du toupet ! Je ne sais pas ce qui m’a pris.
« Taisez-vous, me répondit l’un d’eux. Dormez tranquille. » Et l’autre a ajouté : « Vous avez une fille à marier ?
— Vous en avez un fameux aplomb de me demander tout çà ! Vous avez déjà une bague au doigt... Vous en voulez deux ?
— Non, je dis cela pour que vous dormiez tranquille. Mais vous ne portez pas l’étoile jaune ?
— Messieurs, c’est un simple oubli. » En réalité, je n’en avais pas. « Un simple oubli, mais maintenant je n’oublierai
plus. C’est l’étoile de David, l’étoile d’amour. » Alors, ils se sont mis à chanter la chanson de Delbec : « C’est
l’étoile d’amour, l’étoile d’un jour, etc. » Et nous nous sommes quittés en nous serrant la main.
Pendant les trois mois qui ont suivi, ils ne se sont plus occupés de moi. Puis un jour, mon concierge me dit:
« L’Allemand de notre immeuble vous en fait des politesses ! » Je réponds : « C’est un très bel homme, mais je me
demande qui est cet Allemand-là ? Ne porte-t-il pas d’uniforme ? — Non il ne porte pas d’uniforme. — Mon Dieu, c’est la
Gestapo ! — Madame, ne prononcez jamais ce mot-là. » Je me suis dit : attention, je suis sans doute fichue.
Et en janvier 1944, on sonne à ma porte : « Police allemande ! » Silence. « Madame, il faut ouvrir », me dit le
concierge. Je chuchote à travers la cloison : « Pardonnez-moi, Monsieur, je suis horriblement fatiguée, j’étais couchée,
je suis enrhumée, je ne suis pas habillée, permettez que je mette une robe pour vous recevoir. » Alors, je me suis
précipitée pour cacher les papiers, puis j’ai ouvert la porte. L’Allemand me dit: « À mon tour, Madame, pardonnez-moi,
mais je fais mon devoir. Vos papiers sont-ils en règle ? — Ils le sont, bien sûr ! » Alors mon concierge qui m’aimait
bien, s’est exclamé : « C’est pour cela que vous nous dérangez ? » J’ai alors dit: « Oh, Monsieur, vous ne m’avez
absolument pas dérangée. Au revoir Monsieur. » Je ne lui ai pas tendu la main, on ne tend pas la main aux Allemands.
« Au revoir, Monsieur, voilà l’ascenseur. » Et il est parti !
N’était-ce pas un coup formidable ? Je l’ai bien eu, n’est-ce pas ? Mais après, je suis restée trois jours et trois
nuits sans manger et sans dormir ! »