Eaux Vives, Danièle Weiller Médioni, 280 p. (143 illustrations d’œuvres d’amis et de l’auteur), format 24 x 25,3 cm, éd. Manson,
Paris 2021
Extrait d’un texte:
Une amitié avec des fondateurs du kibboutz Revivim dans le Neguev
J’ai tout de suite été subjuguée par ce couple qui écrivait ensemble des romans sans que personne ne puisse distinguer,
et peut-être pas eux-mêmes, ce qui appartenait à la plume de l’un ou de l’autre.
Une rencontre improbable. Je suis arrivée dans leur kibboutz, en plein désert du Néguev, un soir de juillet, en 1963.
Quand je suis descendue du car, il faisait déjà nuit. Tout était silencieux. Un garde contrôlait l’entrée, étonné de me
voir. « Vous ne pouvez entrer comme ça. — Mais j’ai une lettre de recommandation pour Alexander et Yanka Sened. — Vous
les avez avertis de votre arrivée ? — Non — On ne peut pas les déranger à cette heure… et il n’y a aucun car avant
demain matin… Je vais essayer de joindre le secrétaire du kibboutz pour qu’il trouve une solution. »
Les Sened ont été prévenus. Ils ont négocié pour que l’on me trouve une chambre et m’ont fait prévenir que je pourrai
leur rendre visite le lendemain en fin de matinée. L’accueil était froid. Plus tard Yanka m’a avoué : « On avait
l’intention de ne te recevoir qu’une heure ou deux et de te renvoyer après par le premier car. »
Il en a été tout autrement. « Bienvenue dans notre capitale ! » s’est écriée Yanka, constatant mon étonnement devant
leur bibliothèque où voisinaient des livres en toutes langues, de toutes cultures. J’ai appris qu’ils étaient écrivains
et qu’Alexander avait fondé une maison d’édition pour leur mouvement « Hakibbutz Hameuchad », qu’il avait soutenu nombre
de jeunes talents (Amos Oz, Aharon Appelfeld, A.B. Yehoshua, par exemple). Yanka se plaisait à traduire des auteurs
français, Sartre principalement. Elle souhaitait traduire Proust, et aussi Brassens : « Mais lui, si poétique, si
subtil, avec tous ses mots à double sens, ce n’est pas possible, l’hébreu ne s’y prête pas. »
Alexander avait quitté la Pologne en 1934 et faisait partie du petit groupe de pionniers qui avaient créé le kibboutz en
1942. C’était, au départ, une simple station expérimentale pour cultiver le désert. Yanka, polonaise, elle aussi, était
venue plus tardivement. Elle avait réussi à s’échapper du ghetto de Varsovie mais elle était sortie seule et restait
rongée par le souvenir de disparus.
Ils m’ont priée de rester un ou deux jours de plus. J’ai accepté avec empressement. Tous deux cultivaient l’art de la
conversation, parfois agrémentée d’un verre de cognac (le meilleur cadeau qu’on pouvait leur apporter de France). […]