Carnets, Paul Vicaire, éd. Manson , 2009, 124 p. (39 illust.), format : 21 cm x 17,6 cm.

Extrait d'un texte :

Plassay […] Enfance : le mystère tout proche et tout pénétrable. On n'a qu'à tendre la main qu'à courir à la lisère des bois. Pas un rayon dans le sentier qui ne soit une corde dorée, à l'unisson du monde. Pas un frémissement sur la plaine, l'été, qui ne soit appel. Profondeur des bois. Elle me fit peur, d'abord, mais c'est René qui jouit à m'y effrayer. Bientôt ce fut fini, et pour toujours. Lieux du grand calme, des profondes et végétales ruminations.
Que m'importe de savoir que l'imagination crée de vains objets. Que le désir éperdu s'accroît de sa propre chaleur, et, mouvement confus de l'intérieur, soleil des déserts de l'âme, ne cesse de poser, au bord de l'horizon charnel, ses mirages. Mon corps et mon âme, obscurément unis dans le travail jamais achevé de me mettre au monde, de me garder au monde. Vie, mort, résurrection à chaque minute. Passion silencieuse, à peine pathétique, lents travaux de la chair et du sang.

Eaux souterraines :
[…] Je fus pareil à l'adolescent de ma dix-huitième année, devant le clocher de Saint-Pierre, jadis. Mais le plaisir de retrouver le passé serait vite émoussé, s'il ne se formait bientôt un authentique bonheur, dans la minute présente : gravité joyeuse, allégresse contenue, tout comme en ces années déjà lointaines ; mais la couleur de ma pensée, mais le rythme de mon sang, est bien du jour où je vis. Point de confusion, dans la continuité de ces heures. Il est des pensées qui ne cessent jamais, un accord qui ne s'éteint pas : on peut attendre des années pour que les vibrations retrouvent l'ampleur ancienne car on sait bien que le secret n'est pas perdu. Ce n'est pas renouer un fil rompu, c'est arriver au point où rejaillissent les eaux souterraines. […]